Il existe au cours du temps juif une mitsva (commandement) que l'on accomplit particulièrement rarement : tous les vingt-huit ans, vers l'équinoxe de printemps, il faut dire la bénédiction du soleil (Birkat haHhama בִּרְכַּת הַחַמָּה).

ברוך אתה ה' אלקינו מלך העולם עושה מעשה בראשית
Loué sois-Tu, Eternel notre D., Roi de l'univers, Auteur de l'œuvre de la Création

Cette mitsva[48] trouve sa source dans le Talmud[44], où l'on nous enseigne que, lors de la Création du monde, le soleil fut créé dans la position de l'équinoxe de printemps, au début de la nuit du quatrième jour (Rashi). Il nous revient donc de louer le Créateur à nouveau chaque fois que le soleil passe par cette position, ce même mercredi (quatrième jour de la semaine).

Le Talumd utilise ici, ainsi que pour toutes les questions halakhiques liées au soleil et aux saisons, la mesure approchée de la durée de l'année solaire, dite de Shmouel, valant 365.25 jours. Avec cette approximation, quatre années sont un nombre entier de jours, et vingt-huit années sont un nombre entier de semaines. Il en résulte que tous les vingt-huit ans, et plus précisément tous les 28 x 365.25 j = 10 227 jours, le soleil retourne à sa position initiale, le mercredi[3] à la première heure (juive, c'est à dire le mardi soir).

La dernière célébration eut lieu le mercredi 8 avril 2009 (14 Nissan 5769).
La prochaine Bénédiction du Soleil sera dite le mercredi 8 avril 2037 (23 Nissan 5797).
La suivante : le mercredi 8 avril 2065 (2 Nissan 5825).

Naturellement, cette date n'est pas réellement celle de l'équinoxe de printemps, qui a lieu de nos jours aux alentours du 21 mars. La raison en est le retard accumulé par l'année de Rav Shmouel sur l'année tropique :

    Tjul - Ttrop = 365.25 - 365.242199 jours
      = 0.007801 jour
soit un retard d'environ un jour tous les 128 ans.

Avec 18 jours de retard accumulés par la date de célébration sur l'équinoxe, nous pouvons donc vérifier que cette loi fut fixée il y a environ 2300 ans.

Le Talmud s'appuie sur l'approximation de Shmouel pour les halakhot directement liées au soleil et aux saisons, pour lesquelles il n'y a pas d'obligation de décret du Sanhédrine, afin que chacun puisse faire les les calculs seul. Mais pour l'observance des mois et des fêtes, c'est le cycle métonique (dit aussi de de Rav Adda), plus précis, qui réalise vraiment l'approximation juive de l'année solaire, en moyenne sur 19 ans.

Selon l'approximation de Rav Adda, tous les 19 ans, une même date dans le calendrier juif devrait correspondre à la même position du soleil. Or le retard que l'année juive moyenne accumule sur l'année tropique est :

    TAda - Ttrop = 365.246822 - 365.242199
      = 0.004623 jour
soit, en 2300 ans, environ 10 jours.

Or, de nos jours, le 4 Nissan de la première année d'un cycle de 19 ans (5739, 5758, 5777 etc.) tombe vers le 1er avril, c'est à dire environ 10 jours après l'équinoxe de printemps. Nous constatons donc qu'à l'époque où Abbaïé enseigna son avis, le 4 Nissan moyen (c'est à dire la première année de chaque cycle de 19 ans) correspondait à l'équinoxe de printemps, d'où la relation que les Sages firent avec la création du soleil le 4ème jour de la Création, selon l'avis talmudique que celle-ci se passa en Nissan.

Mais alors, pourquoi continuer aujourd'hui à observer une pratique dont on sait qu'elle n'est plus valide astronomiquement ?
C'est que, dans la pensée juive, le Temps est fait pour l'Homme, et non l'inverse. Il importe peu à D.ieu que nous prononcions cette bénédiction précisément à l'instant astronomique de l'équinoxe, car les astres et leurs mouvements ne furent créés que pour nous être utiles. Ce qui compte, c'est l'enseignement que l'on peut en tirer.
En effet, il existe une dispute talmudique fameuse entre Rabbi Eliezer et Rabbi Yehoshoua. Rabbi Eliezer pense que l'Homme fut créé au mois de Tishri, et que la Rédemption arrivera en Tishri, le mois de la Justice Divine. Mais Rabbi Yehoshoua maintient que ce fut en Nissan que le monde fut créé, le mois de la Miséricorde, et qu'en Nissan il sera sauvé[45]. Mais Rabbi Eliezer et Rabbi Yehoshoua avaient également un autre désaccord célèbre. Rabbi Eliezer disait que la Rédemption n'arriverait peut-être pas : le Jugement Divin risquerait de mettre un terme au monde ; tandis que pour Rabbi Yehoshoua la Rédemption arrivera nécessairement[46], la Bonté Divine aura finalement raison du mauvais penchant des hommes.
Or, bien que les années se renouvellent au 1er Tishri, les Maîtres du Talmud ont fixé la loi de Birkat haHhama en accord avec l'avis de Rabbi Yehoshoua : c'est pour transmettre l'idée que la Rédemption arrivera finalement, D.ieu enverra son Messie par le mérite des hommes.